vendredi 27 mars 2009

Le flan de mon enfance


Je me souviens du flan de mon enfance. Ma mère me l'offrait après l'école en attendant la leçon de solfège. C'était un flan tout rond, reposant sur une fine pâte feuilletée qui avait gardé un peu le goût de la tôle sur laquelle il avait cuit. Ce flan, si j'ose dire, était la cerise sur le gâteau d'une semaine bien morne, où le goûter se réduisait bien souvent à un morceau de pain et une barre de chocolat.

Sa couleur jaune, auréolée de taches ombrées comme des taches de soleil, sa rondeur bonhomme et son goût vanillé m'offraient un moment de répit avant d'attaquer la leçon de solfège; leçon ennuyeuse et pénible à laquelle je me devais d'assister, si je voulais jouer un jour d'un instrument. Seulement, je n'arrivais pas à comprendre comment on pouvait apprendre la musique sans rien entre les mains, même pas une de ces horribles flûtes à bec qui ont assassiné - et assassinent encore - les tympans les moins rétifs. Cela me faisait un peu l'effet d'apprendre la grammaire d'une langue étrangère sans être autorisé à la parler.

Le flan, lui, venait à propos pour repousser pendant un court moment les pensées négatives que je nourrissais à l'égard du conservatoire, un bel endroit pourtant et qui sentait bon le piano neuf et le vernis à violon.

Du reste, c'est en parlant de cette pâtisserie que me revient tout à coup cette atmosphère si particulière du conservatoire; la lumière jaune tombant sur les partitions, la même gamme répétée dix fois par une pianiste trébuchant toujours sur la même note, le son pétaradant d'un cuivre facétieux s'échappant d'un visage congestionné...

Moi aussi, je voulais jouer, mais je n'en avais pas le droit! Alors, le goût du flan dissipait un peu cette frustration. Je me concentrais dessus pendant la leçon de solfège; je me disais que, la semaine suivante, même si je n'allais guère progresser en matière de musique, je retrouverais mon flan à la sortie de l'école: il serait toujours aussi bon et donnerait un peu de couleurs à ma vie ennuyeuse.

Plus tard, j'ai continué la musique, j'ai même touché à des instruments divers et, bien entendu, je n'ai pas renoncé au plaisir de manger des flans. Mais ceux-là n'avaient plus tout à fait la même saveur. Peut-être parce que je n'étais plus un enfant.

lundi 23 mars 2009

Pudding is not fooding.



Je l'avoue à ma honte: j'aime et j'adore le pudding!

Il y a une poignée d'années, quand j'étais encore parisien, je me serais damné pour trouver un pudding dans telle ou telle pâtisserie. Comme ont dit, j'avais mon réseau: une officine près de l'Odéon, une autre dans le neuvième, une autre encore dans ma petite banlieue qui fleurait bon le chiendent célinien.

Aujourd'hui encore, il m'arrive de céder à la tentation. Mais les bons puddings se font rares, et puis quand on a avalé cette chose à l'heure du goûter, l'estomac se met à faire de la résistance passive quand arrive le diner. Un pudding ne se digère pas: c'est lui qui vous digère! Et cela peut prendre du temps, beaucoup de temps... De là à penser que le pudding favorise la méditation, il n'y a qu'un pas... Mais, jusqu'à preuve du contraire, je ne me souviens pas avoir vu un moine tibétain ingérer un pudding!

En fait, ce qui me plait dans ce gâteau, c'est qu'il est fait de tous les autres. Le pudding est à la pâtisserie ce que le compost est au jardinage, mais à la différence du compost, c'est une matière dernière, quelque chose dont on ne peut pas se reservir, parce que justement le pudding est fait de toutes les pâtisseries invendues.

Moi, en matière de gâteaux, j'aime tout sans exception. Mais comme j'aime tout, j'ai du mal à choisir. Le pudding, lui, m'offre la possibilité de choisir tout. Brioche rassie, vieille religieuse, baba dépassé, millefeuille effeuillé, etc, tout peut entrer dans la confection d'un pudding. Il suffit de bien mélanger, de malaxer, de compacter, puis de donner à l'ensemble la belle apparence d'un gâteau en moulant la chose dans du chocolat ou en l'aglutinant avec du sirop de sucre.

Commence alors la dégustation... Ici, un vague goût de Paris-Brest; là, quelque chose comme un relent de kirsch; ici encore, le goût suave d'une vieille pâte d'amande... Bref, un florilège de saveurs!

Ajoutons à cela que le pudding a des vertus nutritives qui réchauffent en hiver et que c'est un gâteau pas cher, mais alors pas cher du tout - comparé à ces nutriments snobs qu'on appelle fooding, et qui font un tabac auprès des bobos de Saint-Germain.

Bref, mangez et faites manger autour de vous du pudding. Bientôt, la crise aidant, il ne nous restera plus que ça. Alors, préparons-nous! Apprenons à manger du pudding.

Le Christ-chien


Pour faire suite à mon dernier message, je reprends la suggestion de Nadja au sujet du chien et du Christ.

Donc, imaginons que le Christ revienne sur Terre, mais incarné en chien. Un cleps dont personne ne veut: tout vilain, pustuleux, galeux, avec la peau sur les os et affligé d'une haleine de chacal. Le pauvre se nourrit de ce qu'il trouve, et plus souvent de ce qu'il ne trouve pas. En plus, il est bien embêté, parce qu'il ne peut pas parler. Alors, comment annoncer la bonne parole quand on ne sait qu'aboyer et que les gens vous lancent des pierres pour vous chasser?

Reste le regard. Quelque chose dans le fond des yeux qui vient de très loin et qui est pourtant très proche à la fois... Bref, un regard divin. Un regard qui dit: ne me chasse pas! Je suis tes propres yeux. Les yeux du coeur. Ceux qui traversent les apparences et qui font que tu es autre chose qu'un simple passant sur cette Terre...

Ce regard, un homme l'aperçoit un jour. Il est comme le chien: sale, mal fagotté, exilé de tout, sans toit et sans travail. L'homme recueille le chien. Ou plutôt, c'est le chien qui recueille l'homme. C'est lui qui, par la magie de son regard, va lui réapprendre ce qu'il a oublié: qu'il est un homme, qu'il a une dignité, qu'il a besoin d'amour. Bien vite, ils vont devenir des amis inséparables, et tant pis si le cleps n'arrive toujours pas à dégoiser la bonne nouvelle!

Un soir, l'homme rapporte un peu d'argent, achète à manger pour le chien et pour lui. Mais il ignore que d'autres l'ont vu; d'autres qui sont aussi pauvres que lui et en veulent à son argent.

Deux types fondent sur lui, le tabassent, lui volent son fric. Et comme ils sont un peu avinés, ils s'amusent à crucifier le chien sur une vieille porte.

Fin de l'histoire?

Non. Le pauvre type qu'on a tabassé finit par se relever et, pris d'une compassion extrême pour son compagnon d'infortune, décroche le chien de la porte et tente de le réanimer.

Alors, comme à la fin de Saint-Julien L'Hospitalier de Flaubert, il se passe à cet instant une chose extraordinaire. Le chien devient Christ et emmène le SDF jusqu'au Ciel!

Histoire édifiante, me dira-ton. Oui, peut-être... Mais des pauvres qui volent les pauvres, on en voit tous les jours à la rubrique des faits-divers, et pour ceux-là malheureusement il n'y a guère de rédemption...

vendredi 20 mars 2009

Nom d'un chien.


L'illustration qui orne ce blog est de Natacha Sicaud. Natacha a illustré mon premier livre, Un Chien dans le placard (Nathan); la rencontre de son trait et de mon écriture fut pour moi une très grande joie, d'autant que c'était ma première publication en littérature de jeunesse. Non seulement mon histoire était prise, mais en plus je donnais à quelqu'un que je ne connaissais pas l'occasion d'exprimer son talent. Depuis, le livre a été réédité et Natacha y a participé en revoyant notamment la couverture.

En fait, avec cette histoire de chien, je retrouvais une part d'enfance que ma mémoire avait négligé jusque-là. Je veux parler du chien de ma grand-mère. Il s'appelait Athos, nom étonnant, car ma grand-mère était plus portée sur Modes et Travaux que sur les Trois Mousquetaires. Enfant, j'ignorais tout du roman de Dumas. Pour moi, ce nom signifiait plutôt: Athos-qui-a-un-os. Ce chien - en fait, un cabot, comme on disait, un batard - passait le plus clair de son temps dehors attaché à un piquet. Il était doux, paresseux, jamais grognon. Il offrait son amour comme ça, sans rien demander en échange (enfin, je le gavais quand même de sucre!). Pour moi, il devait représenter l'amour avec un grand A - un peu comme le Christ... Du reste, en parlant une fois des chiens avec Nadja - autre illustratrice de grand talent - nous sommes tombés d'accord pour dire que, si le Christ revenait parmi nous aujourd'hui, il aurait l'apparence d'un chien...

Donc, j'aimais, j'adorais, j'adulais Athos. Et puis, un jour, il n'a plus été au rendez-vous. Ma grand-mère allait déménager. On ne m'a pas expliqué ce qu'on en avait fait. Plus tard, j'ai compris qu'on l'avait piqué. Depuis, malgré l'âge, je continue de m'interroger. Où est passé Athos? Qu'est-il devenu? Bien sûr, je sais qu'il est mort, mais il continue de vivre en moi comme une tendre blessure... En moi, il y a un chien. Un chien qu'on va piquer, qui ne comprend pas ce qu'il lui arrive et qui songe à un petit garçon qui l'aimait bien et le gavait de sucre.

mercredi 18 mars 2009

Coach-toi toi-même!

Coach, coaching... Comme disait Dutronc, un de mes philosophes préférés, on n'entend plus que ça partout.
Hier, dans Le Monde, il y avait justement un article sur le coaching parental. C'est fou comme les gens ont besoin de se faire aider en ce moment! Et pas seulement à cause de la crise... Par réflexe individualiste ou parce qu'ils n'arrivent pas à gérer leur anxiété.
Bref, à lire la presse, on se dit qu'il y a un coach pour tout: pour changer de boîte, changer les couches des petits, divorcer, se faire cuire un oeuf, rencontrer le premier amour, suspendre des double-rideaux, s'orienter dans les rues sans se cogner dans les panneaux...
Enfin, il y a quand même un coaching qui n'existe pas encore: le coaching mortuaire. Encore que... J'imagine ce que pourrait donner une session... Première séance: vous allez mourir. Que ressentez-vous? Deuxième séance: vous êtes en train de mourir. Que pouvez-vous faire? Avez-vous un livre de Woody Allen à portée de main? Troisième séance: vous êtes mort. Racontez votre expérience.
Heureusement, nous n'en sommes pas encore là. Et puis, il y a Montaigne qui a bien disserté sur la chose. Moi, je n'ai pas de coach. Ou plutôt, j'en ai une foule: mes amis et les livres. A part ça, ça va très bien. Bon, il m'arrive quand même de me prendre un panneau de temps à autre - mais je n'en fais pas une maladie...
Additif: coach est un mot qui favorise les calembours; c'est très rigolo. La droite et la coach... La coach d'Azur... L'ultra-coach, etc. En plus, c'est l'anagramme presque parfait de... cacho(t)! Comme quoi, qui cherche à se faire aider cherche aussi les enfermements...